Un patrimoine pour comprendre le monde d'aujourd'hui
La Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, implantée sur le campus de l’Université Paris X – Nanterre (Hauts-de-Seine) est, en France, l’un des plus grands organismes de documentation et de recherche, à promouvoir l’étude du monde contemporain. Rencontre avec Geneviève Dreyfus-Armand, directrice des lieux.
La BDIC est une institution tout à fait originale, quasi unique en Europe. A quelle époque a-t-elle été fondée et sous quelle impulsion?
Les collections de la BDIC sont issues de l’initiative privée d’un couple d’industriels parisiens, Louise et Michel Leblanc. Pour comprendre comment est né cet établissement, il faut remonter jusqu’en 1914, aux tout débuts de ce qui allait être la Première Guerre mondiale. Conscients de vivre un événement historique exceptionnel, les Leblanc entreprirent de consacrer leur temps et leur fortune, à recueillir des documents de toute nature, sur tout support et en toute langue, à propos du conflit qui était en train de naître. Cette initiative, que l’on peut qualifier de « multimédia » avant la lettre, fut une première en France. Une telle variété de supports, réunissant au sein d’une même collection, photographies, affiches, dessins, tableaux, mais aussi vaisselle et objets divers, était, en effet, totalement inédite. Jusqu’alors, les bibliothèques françaises et les centres d’archives étaient chacun spécialisés dans la recherche et la collecte de tel ou tel type de support. Dès l’origine, cette diversité a donc été l’un des traits majeurs de la collection des Leblanc.
En 1917, la collection Leblanc, qui compte déjà quelques dizaines de milliers de pièces, est donnée à l’Etat. Comment s’est opérée cette donation et quelles en ont été les conséquences ?
Après avoir été exposé un certain temps dans le salon privé des Leblanc, à Paris, l’ensemble de la collection a effectivement été donnée à l’Etat. L’acceptation de cette donation fut débattue au Parlement, puis devant la Commission de l’instruction publique, qui souhaitait intégrer cette collection à celles de la bibliothèque du Musée de la guerre, future BDIC. L’objectif était d’attribuer à cet établissement deux missions principales. D’une part, faire en sorte qu’elle devienne un laboratoire d’histoire qui collecte, classe et inventorie tous les documents pouvant servir à l’histoire de la guerre, qu’elle développe ses propres publications et présente des expositions. D’autre part, par le biais de ces expositions, que ce laboratoire d’histoire devienne aussi « une œuvre d’éducation populaire », et fasse connaître à un public plus vaste que celui des chercheurs, les données sur l’histoire du temps présent. Ainsi, la voie de la future BDIC était tracée : être un établissement marqué à la fois dans la recherche et dans la diffusion des connaissances. En 1925, la bibliothèque du Musée de la guerre fut installée très officiellement au château de Vincennes. Les collections furent rassemblées dans le donjon, et les salles de lecture, dans le patio de la Reine. Un an plus tard, en 1926, la bibliothèque du Musée de la guerre changeait d’appellation, pour prendre son nom actuel de « bibliothèque de documentation internationale contemporaine ». En 1934, elle fut rattachée à l’université de Paris.C’est très certainement Camille Bloch, historien et archiviste, premier directeur de la BDIC, qui en a donné l’impulsion. Il faut savoir qu’après le transfert des collections Leblanc à l’Etat, se sont principalement succédé, à la tête de la BDIC, des archivistes et des historiens. Force est de penser que ces archivistes et historiens ne pouvaient que vouloir inscrire la BDIC dans le tissu universitaire, afin de garantir son indépendance et son sérieux. Or, durant les années 30 et la période de l’entre-deux-guerres, les fonds récoltés par la BDIC se sont particulièrement accrus, faisant de cet établissement une véritable institution. Aussi, ceux-ci sont devenus une source d’études inestimable pour les universitaires. En effet, pour éclaircir et expliquer les causes et les conséquences de la Première Guerre mondiale, les historiens ont dû remonter au début du XXe siècle, voire assez loin dans le XIXe siècle. Fatalement, ils ont vu apparaître, dans son sillage, toute une série de révolutions, comme celles avortées en Allemagne, puis celle victorieuse, en Russie... Ils se sont donc mis à chercher des documents sur toutes les composantes de l’histoire du mouvement ouvrier, ont voulu comprendre, comment et pourquoi, le mouvement ouvrier avait été composé de différentes tendances idéologiques, comme l’anarchisme, le socialisme et, après 1920, la naissance du communisme. Ils ont également cherché à déceler les racines du nationalisme, à comprendre pourquoi les Balkans avaient été une poudrière aussi explosive... Très vite, la BDIC s’est donc spécialisée dans l’étude des relations internationales, et les historiens, complètement immergés dans leur époque, ont compris, à la fin des années 30, que les évènements internationaux s’accéléraient : l’avènement du fascisme en Italie, la montée du nazisme en Allemagne, la toute-puissance du stalinisme en URSS. Déjà, la BDIC disposait d’une somme précieuse d’informations et de documentation.
Fille de la « der des ders », comment la BDIC a-t-elle traversé ce nouveau « séisme » qui s’est abattu sur le monde dès 1939, et quel a été son destin après la Libération ?
La Seconde Guerre mondiale est une période particulièrement douloureuse pour la BDIC. Les troupes allemandes avaient installé l’un de leurs quartiers généraux dans le château de Vincennes, où elle résidait elle-même. En 1944, au moment de la Libération de Paris, ils mirent le feu au château. Un tiers de ses collections, notamment celles recueillies durant les années 30, fut entièrement brûlé. Le ministère de la Défense décida ensuite d’y installer divers services de l’armée de l’air et de terre. Celle-ci dût donc quitter les lieux et commença une véritable errance dans Paris. Eparpillée en plusieurs lieux distincts, la BDIC perdit progressivement de son crédit et s’étiola. Elle connut une période de profonde décadence. Jusqu’à ce qu’elle soit installée, quelques années plus tard, à Nanterre, dans un bâtiment construit spécifiquement pour elle.
Qu’est-ce qui a motivé le choix d’implantation de la BDIC sur la ville de Nanterre ?
Outre l’aspect foncier non négligeable, puisqu’il était nécessaire de trouver un lieu disposant d’une surface importante, pour y disposer l’ensemble des collections, le fait, qu’à l’époque, se développait, à Nanterre, une toute jeune faculté de sciences humaines, a, je crois, été un argument de taille en faveur de l’implantation de la BDIC sur ce territoire. Le déménagement des collections et des bureaux de la BDIC vers Nanterre eut lieu en 1970. En revanche, le Musée de la guerre, resta à Paris. Seule son appellation changea, et il devint le Musée des deux guerres. A l’époque, il fut jugé hasardeux de le transférer également sur Nanterre. La desserte de la ville en transports en commun n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui : il n’y avait, en effet, que le train pour venir à Nanterre ; le RER n’étant arrivé que plus tard. Aussi, la direction de la BDIC négocia avec le ministère de la Défense pour obtenir, en échange du donjon du château de Vincennes, des salles dans l’Hôtel national des Invalides, pour y installer son musée.
Comment la BDIC parvint-elle à gérer cette séparation entre la bibliothèque et son musée ?
Il est évident qu’elle n’a pas facilité les choses. Je pense aussi, qu’à cette époque, on n’a pas donné à la BDIC les moyens adaptés pour qu’elle puisse faire face à sa nouvelle situation. Transférée à Nanterre dans un bâtiment qui était construit comme tous ceux des années 70, avec des grandes fenêtres et des baies vitrées, la majeure partie des subventions passait dans le chauffage et l’électricité ! Si bien qu’à la fin des années 70, ce fut la catastrophe. La BDIC ne pouvait plus acheter de documents pour agrandir son fond. Il a fallu attendre le début des années 80, pour qu’elle prenne enfin un nouvel essor. Et plus particulièrement, en 1982, année au cours de laquelle elle est devenue Centre d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique (CADIST), dans le domaine des relations internationales et monde contemporain, et a ainsi obtenu la reconnaissance de sa spécificité. A cette même période, le Musée des deux guerres a lui aussi pris un certain essor, en accueillant à nouveau des expositions – tradition avec laquelle il avait rompu depuis les années 30 –, et en proposant au public des thématiques très diverses, allant bien au-delà des deux guerres mondiales. C’est pour cela d’ailleurs, qu’en 1987, le musée fut appelé « Musée d’histoire contemporaine ». Une appellation qui correspond davantage à ses activités et à ses fonctions.
Comment définiriez-vous, aujourd’hui, l’identité de la BDIC ? Qu’est-ce qui en fait, selon vous, sa force et sa singularité ?
La BDIC se distingue très certainement par la diversité des thématiques qu’elle couvre : les deux guerres mondiales, les relations internationales, la vie intérieure des Etats, dans la mesure de son incidence sur la politique internationale, le mouvement ouvrier, la question des minorités, la colonisation, la décolonisation, les migrations internationales, les droits de l’homme…Une diversité thématique, à laquelle se superpose celle des zones suivies : l’Europe occidentale, l’Europe centrale et orientale, l’Amérique du Nord, l’Amérique latine, l’Afrique, mais aussi le Moyen-Orient. Son objectif est avant tout de permettre au public de se saisir d’un patrimoine, recueilli depuis maintenant près d’un siècle, pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui.
Outre cette diversité thématique, la BDIC dispose également d’une diversité de supports tout à fait impressionnante… Une fidélité à la « tradition Leblanc » ?
Oui, sans aucun doute. Aujourd’hui, notre fonds est constitué de plus d’un demi-million de monographies. De nombreux recueils s’y ajoutent, constitués de brochures émanant de partis et mouvements politiques, français et étrangers, relatifs aux questions politiques, économiques, sociales et culturelles des pays. Nous avons également des périodiques, soit plus de 40 000 titres et 3000 titres courants. A eux seuls, ils représentent près de 15 kilomètres de rayons sur 4000 m2. Par ailleurs, nous disposons aussi d’une section audiovisuel, composée, à ce jour, de 1500 documentaires (40% d’entre eux sont en langues étrangères), de 2500 vidéogrammes d’archives filmiques sur les deux guerres mondiales, les conflits contemporains, les questions sociales, complétés par des interviews inédites et de portraits d’hommes politiques, de 500 audiogrammes, 200 disques, (compilations de discours politiques), et enfin, de 50 cédéroms.
Comment la BDIC parvient-elle à se procurer ces documents ?
Il existe un secteur d’acquisition, composé de conservateurs spécialisés dans différents secteurs qui achètent dans toutes les langues, aussi bien en français, allemand, anglais, espagnol, portugais, polonais…Ce sont des connaisseurs très pointus des ères géopolitiques, dont ils sont chargés. Ils dépouillent régulièrement la presse et les éditions spécialisées, entretiennent des relations de confiance et de fidélité avec les universités et les chercheurs de des pays concernés. En fonction des thématiques que nous décidons de privilégier, les acquéreurs se répartissent, entre eux, les crédits qui nous sont alloués par le ministère de l’Education nationale, direction de l’enseignement supérieur et sous-direction des bibliothèques, et auquel nous sommes rattachés. A mon arrivée à la direction de la BDIC, il y a maintenant quatre ans, j’ai souhaité instaurer un volant financier d’acquisition commune. Car, il peut arriver que des acquéreurs soient confrontés à des offres d’acquisition exceptionnelle. Il faut donc pouvoir réagir immédiatement. Ainsi, par exemple, les acquisitions pour 2001/2004 sont essentiellement centrées autour des thématiques suivantes : les guerres, les génocides et crimes de guerre au XXe siècle, la colonisation et la décolonisation, le totalitarisme, et les droits de l’homme. Sur le plan géographique, une attention toute particulière est accordée aux Balkans, au Proche et au Moyen-Orient. De même, au niveau des documents, il nous paraît plus important et davantage du ressort de la BDIC, d’acheter des archives publiées en microfilms ou en microfiches, qui sont toutes très chères et, de ce fait, ne peuvent pas être achetées par des chercheurs individuels.
Vous disposez également de collections de fonds d’archives privées de personnalités, d’associations, de partis politiques français ou étrangers. Est-il fréquent que la BDIC reçoive des donations ?
Oui, c’est très fréquent. Ces collections dont vous parlez représentent à elles seules plus de mille mètres de linéaires. Pour ne citer que les plus récentes, nous avons, par exemple, reçu, en 2000, les archives historiques de la Ligue des droits de l’homme, celles de l’association des femmes déportées et internées, qui recensent de nombreux témoignages, textes, interviews audio vidéo, sur les déportations et sur les femmes résistantes à Ravensbrück, mais aussi toute une documentation sur l’exil républicain, sur les camps d’internement en 1939, et sur la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale. Un fonds très important, concernant l’évolution pendant trente ans, des pays d’Amérique latine, sur le plan politique et social, nous a également été légué. Des archives qui complètent l’ensemble des collections, notamment d’affiches, de cartes postales, de dessins et gravures, de peintures, photographies et sculpture, du Musée d’histoire contemporaine. A ce propos, nous sommes actuellement en train de traiter un fond très intéressant qui nous a été légué par le photographe Elie Kagan. Plus de 300000 photographies qui couvrent la vie politique et sociale de la France, entre les années 60 et les années 90.
Considérez-vous la réunification prévue entre la bibliothèque et le musée, en annexe du projet d’aménagement Seine-Arche, comme essentielle au développement futur de ces établissements ? Comment l’envisagez-vous et que peut-elle vous apporter ?
Il faut savoir que les bâtiments, dans lesquels nous sommes installés depuis maintenant plus de trente ans, étaient initialement prévus pour quinze ans. Ceux-ci sont aujourd’hui insuffisants. Nous faisons énormément d’efforts pour désengorger les magasins, en confiant, par exemple, des collections à des établissements extérieurs, comme au Centre technique du livre de l’enseignement supérieur, situé à Marne-la-Vallée, ou encore, en donnant éventuellement des collections un peu marginales à d’autres bibliothèques. Mais ce n’est pas une solution. Nous sommes donc ravis de ce projet de réunification de la bibliothèque et du musée, dont la future implantation est prévue à proximité de la nouvelle gare de l’Université et de la future place haute. Il va nous permettre de créer une véritable synergie entre ces deux entités, mais aussi de toucher plusieurs publics à la fois. Ainsi, ce sera l’occasion, pour le public universitaire, d’être davantage en prise avec un public beaucoup plus large, qui s’intéresse, cherche à apprendre, et qui, lui aussi, a droit aux données de la recherche les plus récentes et les plus rigoureuses.
Cécile Moreno
La BDIC est une institution tout à fait originale, quasi unique en Europe. A quelle époque a-t-elle été fondée et sous quelle impulsion?
Les collections de la BDIC sont issues de l’initiative privée d’un couple d’industriels parisiens, Louise et Michel Leblanc. Pour comprendre comment est né cet établissement, il faut remonter jusqu’en 1914, aux tout débuts de ce qui allait être la Première Guerre mondiale. Conscients de vivre un événement historique exceptionnel, les Leblanc entreprirent de consacrer leur temps et leur fortune, à recueillir des documents de toute nature, sur tout support et en toute langue, à propos du conflit qui était en train de naître. Cette initiative, que l’on peut qualifier de « multimédia » avant la lettre, fut une première en France. Une telle variété de supports, réunissant au sein d’une même collection, photographies, affiches, dessins, tableaux, mais aussi vaisselle et objets divers, était, en effet, totalement inédite. Jusqu’alors, les bibliothèques françaises et les centres d’archives étaient chacun spécialisés dans la recherche et la collecte de tel ou tel type de support. Dès l’origine, cette diversité a donc été l’un des traits majeurs de la collection des Leblanc.
En 1917, la collection Leblanc, qui compte déjà quelques dizaines de milliers de pièces, est donnée à l’Etat. Comment s’est opérée cette donation et quelles en ont été les conséquences ?
Après avoir été exposé un certain temps dans le salon privé des Leblanc, à Paris, l’ensemble de la collection a effectivement été donnée à l’Etat. L’acceptation de cette donation fut débattue au Parlement, puis devant la Commission de l’instruction publique, qui souhaitait intégrer cette collection à celles de la bibliothèque du Musée de la guerre, future BDIC. L’objectif était d’attribuer à cet établissement deux missions principales. D’une part, faire en sorte qu’elle devienne un laboratoire d’histoire qui collecte, classe et inventorie tous les documents pouvant servir à l’histoire de la guerre, qu’elle développe ses propres publications et présente des expositions. D’autre part, par le biais de ces expositions, que ce laboratoire d’histoire devienne aussi « une œuvre d’éducation populaire », et fasse connaître à un public plus vaste que celui des chercheurs, les données sur l’histoire du temps présent. Ainsi, la voie de la future BDIC était tracée : être un établissement marqué à la fois dans la recherche et dans la diffusion des connaissances. En 1925, la bibliothèque du Musée de la guerre fut installée très officiellement au château de Vincennes. Les collections furent rassemblées dans le donjon, et les salles de lecture, dans le patio de la Reine. Un an plus tard, en 1926, la bibliothèque du Musée de la guerre changeait d’appellation, pour prendre son nom actuel de « bibliothèque de documentation internationale contemporaine ». En 1934, elle fut rattachée à l’université de Paris.C’est très certainement Camille Bloch, historien et archiviste, premier directeur de la BDIC, qui en a donné l’impulsion. Il faut savoir qu’après le transfert des collections Leblanc à l’Etat, se sont principalement succédé, à la tête de la BDIC, des archivistes et des historiens. Force est de penser que ces archivistes et historiens ne pouvaient que vouloir inscrire la BDIC dans le tissu universitaire, afin de garantir son indépendance et son sérieux. Or, durant les années 30 et la période de l’entre-deux-guerres, les fonds récoltés par la BDIC se sont particulièrement accrus, faisant de cet établissement une véritable institution. Aussi, ceux-ci sont devenus une source d’études inestimable pour les universitaires. En effet, pour éclaircir et expliquer les causes et les conséquences de la Première Guerre mondiale, les historiens ont dû remonter au début du XXe siècle, voire assez loin dans le XIXe siècle. Fatalement, ils ont vu apparaître, dans son sillage, toute une série de révolutions, comme celles avortées en Allemagne, puis celle victorieuse, en Russie... Ils se sont donc mis à chercher des documents sur toutes les composantes de l’histoire du mouvement ouvrier, ont voulu comprendre, comment et pourquoi, le mouvement ouvrier avait été composé de différentes tendances idéologiques, comme l’anarchisme, le socialisme et, après 1920, la naissance du communisme. Ils ont également cherché à déceler les racines du nationalisme, à comprendre pourquoi les Balkans avaient été une poudrière aussi explosive... Très vite, la BDIC s’est donc spécialisée dans l’étude des relations internationales, et les historiens, complètement immergés dans leur époque, ont compris, à la fin des années 30, que les évènements internationaux s’accéléraient : l’avènement du fascisme en Italie, la montée du nazisme en Allemagne, la toute-puissance du stalinisme en URSS. Déjà, la BDIC disposait d’une somme précieuse d’informations et de documentation.
Fille de la « der des ders », comment la BDIC a-t-elle traversé ce nouveau « séisme » qui s’est abattu sur le monde dès 1939, et quel a été son destin après la Libération ?
La Seconde Guerre mondiale est une période particulièrement douloureuse pour la BDIC. Les troupes allemandes avaient installé l’un de leurs quartiers généraux dans le château de Vincennes, où elle résidait elle-même. En 1944, au moment de la Libération de Paris, ils mirent le feu au château. Un tiers de ses collections, notamment celles recueillies durant les années 30, fut entièrement brûlé. Le ministère de la Défense décida ensuite d’y installer divers services de l’armée de l’air et de terre. Celle-ci dût donc quitter les lieux et commença une véritable errance dans Paris. Eparpillée en plusieurs lieux distincts, la BDIC perdit progressivement de son crédit et s’étiola. Elle connut une période de profonde décadence. Jusqu’à ce qu’elle soit installée, quelques années plus tard, à Nanterre, dans un bâtiment construit spécifiquement pour elle.
Qu’est-ce qui a motivé le choix d’implantation de la BDIC sur la ville de Nanterre ?
Outre l’aspect foncier non négligeable, puisqu’il était nécessaire de trouver un lieu disposant d’une surface importante, pour y disposer l’ensemble des collections, le fait, qu’à l’époque, se développait, à Nanterre, une toute jeune faculté de sciences humaines, a, je crois, été un argument de taille en faveur de l’implantation de la BDIC sur ce territoire. Le déménagement des collections et des bureaux de la BDIC vers Nanterre eut lieu en 1970. En revanche, le Musée de la guerre, resta à Paris. Seule son appellation changea, et il devint le Musée des deux guerres. A l’époque, il fut jugé hasardeux de le transférer également sur Nanterre. La desserte de la ville en transports en commun n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui : il n’y avait, en effet, que le train pour venir à Nanterre ; le RER n’étant arrivé que plus tard. Aussi, la direction de la BDIC négocia avec le ministère de la Défense pour obtenir, en échange du donjon du château de Vincennes, des salles dans l’Hôtel national des Invalides, pour y installer son musée.
Comment la BDIC parvint-elle à gérer cette séparation entre la bibliothèque et son musée ?
Il est évident qu’elle n’a pas facilité les choses. Je pense aussi, qu’à cette époque, on n’a pas donné à la BDIC les moyens adaptés pour qu’elle puisse faire face à sa nouvelle situation. Transférée à Nanterre dans un bâtiment qui était construit comme tous ceux des années 70, avec des grandes fenêtres et des baies vitrées, la majeure partie des subventions passait dans le chauffage et l’électricité ! Si bien qu’à la fin des années 70, ce fut la catastrophe. La BDIC ne pouvait plus acheter de documents pour agrandir son fond. Il a fallu attendre le début des années 80, pour qu’elle prenne enfin un nouvel essor. Et plus particulièrement, en 1982, année au cours de laquelle elle est devenue Centre d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique (CADIST), dans le domaine des relations internationales et monde contemporain, et a ainsi obtenu la reconnaissance de sa spécificité. A cette même période, le Musée des deux guerres a lui aussi pris un certain essor, en accueillant à nouveau des expositions – tradition avec laquelle il avait rompu depuis les années 30 –, et en proposant au public des thématiques très diverses, allant bien au-delà des deux guerres mondiales. C’est pour cela d’ailleurs, qu’en 1987, le musée fut appelé « Musée d’histoire contemporaine ». Une appellation qui correspond davantage à ses activités et à ses fonctions.
Comment définiriez-vous, aujourd’hui, l’identité de la BDIC ? Qu’est-ce qui en fait, selon vous, sa force et sa singularité ?
La BDIC se distingue très certainement par la diversité des thématiques qu’elle couvre : les deux guerres mondiales, les relations internationales, la vie intérieure des Etats, dans la mesure de son incidence sur la politique internationale, le mouvement ouvrier, la question des minorités, la colonisation, la décolonisation, les migrations internationales, les droits de l’homme…Une diversité thématique, à laquelle se superpose celle des zones suivies : l’Europe occidentale, l’Europe centrale et orientale, l’Amérique du Nord, l’Amérique latine, l’Afrique, mais aussi le Moyen-Orient. Son objectif est avant tout de permettre au public de se saisir d’un patrimoine, recueilli depuis maintenant près d’un siècle, pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui.
Outre cette diversité thématique, la BDIC dispose également d’une diversité de supports tout à fait impressionnante… Une fidélité à la « tradition Leblanc » ?
Oui, sans aucun doute. Aujourd’hui, notre fonds est constitué de plus d’un demi-million de monographies. De nombreux recueils s’y ajoutent, constitués de brochures émanant de partis et mouvements politiques, français et étrangers, relatifs aux questions politiques, économiques, sociales et culturelles des pays. Nous avons également des périodiques, soit plus de 40 000 titres et 3000 titres courants. A eux seuls, ils représentent près de 15 kilomètres de rayons sur 4000 m2. Par ailleurs, nous disposons aussi d’une section audiovisuel, composée, à ce jour, de 1500 documentaires (40% d’entre eux sont en langues étrangères), de 2500 vidéogrammes d’archives filmiques sur les deux guerres mondiales, les conflits contemporains, les questions sociales, complétés par des interviews inédites et de portraits d’hommes politiques, de 500 audiogrammes, 200 disques, (compilations de discours politiques), et enfin, de 50 cédéroms.
Comment la BDIC parvient-elle à se procurer ces documents ?
Il existe un secteur d’acquisition, composé de conservateurs spécialisés dans différents secteurs qui achètent dans toutes les langues, aussi bien en français, allemand, anglais, espagnol, portugais, polonais…Ce sont des connaisseurs très pointus des ères géopolitiques, dont ils sont chargés. Ils dépouillent régulièrement la presse et les éditions spécialisées, entretiennent des relations de confiance et de fidélité avec les universités et les chercheurs de des pays concernés. En fonction des thématiques que nous décidons de privilégier, les acquéreurs se répartissent, entre eux, les crédits qui nous sont alloués par le ministère de l’Education nationale, direction de l’enseignement supérieur et sous-direction des bibliothèques, et auquel nous sommes rattachés. A mon arrivée à la direction de la BDIC, il y a maintenant quatre ans, j’ai souhaité instaurer un volant financier d’acquisition commune. Car, il peut arriver que des acquéreurs soient confrontés à des offres d’acquisition exceptionnelle. Il faut donc pouvoir réagir immédiatement. Ainsi, par exemple, les acquisitions pour 2001/2004 sont essentiellement centrées autour des thématiques suivantes : les guerres, les génocides et crimes de guerre au XXe siècle, la colonisation et la décolonisation, le totalitarisme, et les droits de l’homme. Sur le plan géographique, une attention toute particulière est accordée aux Balkans, au Proche et au Moyen-Orient. De même, au niveau des documents, il nous paraît plus important et davantage du ressort de la BDIC, d’acheter des archives publiées en microfilms ou en microfiches, qui sont toutes très chères et, de ce fait, ne peuvent pas être achetées par des chercheurs individuels.
Vous disposez également de collections de fonds d’archives privées de personnalités, d’associations, de partis politiques français ou étrangers. Est-il fréquent que la BDIC reçoive des donations ?
Oui, c’est très fréquent. Ces collections dont vous parlez représentent à elles seules plus de mille mètres de linéaires. Pour ne citer que les plus récentes, nous avons, par exemple, reçu, en 2000, les archives historiques de la Ligue des droits de l’homme, celles de l’association des femmes déportées et internées, qui recensent de nombreux témoignages, textes, interviews audio vidéo, sur les déportations et sur les femmes résistantes à Ravensbrück, mais aussi toute une documentation sur l’exil républicain, sur les camps d’internement en 1939, et sur la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale. Un fonds très important, concernant l’évolution pendant trente ans, des pays d’Amérique latine, sur le plan politique et social, nous a également été légué. Des archives qui complètent l’ensemble des collections, notamment d’affiches, de cartes postales, de dessins et gravures, de peintures, photographies et sculpture, du Musée d’histoire contemporaine. A ce propos, nous sommes actuellement en train de traiter un fond très intéressant qui nous a été légué par le photographe Elie Kagan. Plus de 300000 photographies qui couvrent la vie politique et sociale de la France, entre les années 60 et les années 90.
Considérez-vous la réunification prévue entre la bibliothèque et le musée, en annexe du projet d’aménagement Seine-Arche, comme essentielle au développement futur de ces établissements ? Comment l’envisagez-vous et que peut-elle vous apporter ?
Il faut savoir que les bâtiments, dans lesquels nous sommes installés depuis maintenant plus de trente ans, étaient initialement prévus pour quinze ans. Ceux-ci sont aujourd’hui insuffisants. Nous faisons énormément d’efforts pour désengorger les magasins, en confiant, par exemple, des collections à des établissements extérieurs, comme au Centre technique du livre de l’enseignement supérieur, situé à Marne-la-Vallée, ou encore, en donnant éventuellement des collections un peu marginales à d’autres bibliothèques. Mais ce n’est pas une solution. Nous sommes donc ravis de ce projet de réunification de la bibliothèque et du musée, dont la future implantation est prévue à proximité de la nouvelle gare de l’Université et de la future place haute. Il va nous permettre de créer une véritable synergie entre ces deux entités, mais aussi de toucher plusieurs publics à la fois. Ainsi, ce sera l’occasion, pour le public universitaire, d’être davantage en prise avec un public beaucoup plus large, qui s’intéresse, cherche à apprendre, et qui, lui aussi, a droit aux données de la recherche les plus récentes et les plus rigoureuses.
Cécile Moreno